En 2009 j'ai lu un petit bouquin qui m'a favorablement impressionné: La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (Philippe Delerm)
C'est un ravissement, que dis-je ? Une gourmandise, que ce bouquin !
J'avais trouvé sur le net cette phrase à son sujet:
C'est un moment rare que de La première gorgée de bière. Et l'on sait déjà que ce livre restera toujours à portée de main, pour ces jours où rien ne va, où l'on cherche un refuge... Il suffira alors de l'ouvrir au hasard et tout autour de nous reprendra ses couleurs... Infime nécessité d'un presque rien... et le bonheur est là, au papier d'un livre.
Voilà qui me correspondait tout à fait, et je me suis rendu compte que j'aurais presque pu écrire ces histoires, si ce n'est que son style est bien meilleur que le mien.

Extrait:(qui va ravir les buveurs de bière, mais pas que...)
La première gorgée de bière
C'est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu'un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir... Mais la première gorgée! Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l'écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d'amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit . la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l'amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut; la sensation trompeuse d'un plaisir qui s'ouvre à l'infini... En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l'éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d'attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s'échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l'on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s'interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l'or pur, et l'enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l'alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C'est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée.