Je ne me rappelle pas depuis quand je suis ainsi à toujours chercher à vouloir interpréter les actions, gestes, ou propos des gens en face de moi ?
J'aurais tendance à dire que les rapports humains m'ont toujours intrigué, mais pour autant que je m'en rappelle, ça n'a pas toujours été le cas.
Quand j'étais encore enfant, je ne me posais pas toutes ces questions car la vie était pour moi, simple: il n'y avait pas de menteurs, ni de sournois, ni de manipulateurs et pour moi tout le monde était gentil: à quoi servait la méchanceté et la fausseté ? L'innocence de l'enfance...
À l'école, j'ai commencé à déchanter au contact des autres : d'un naturel doux, gentil, naturel, et sans malice , je me retrouvais sorti du cocon familial en face d'un monde sans pitié. Assez vite je découvris combien certains pouvaient être méchants de manière tout à fait gratuite. Et je ne comprenais pas le pourquoi de leur conduite: j'étais tout calme dans mon coin et on venait se moquer de moi, alors même que je ne demandais rien à personne. La plupart du temps, je restais coi, ayant compris rapidement qu'il valait mieux parfois se taire et attendre que l'orage passe: ce qui les intéressait, c'était que je réagisse et si je ne le faisais pas, ils se lasseraient et trouveraient une autre victime, solution qui ne me satisfaisait pas pleinement mais dans l'immédiat je n'en avais pas d'autres. J'étais déjà patient, je le devins encore plus : un jour, pensais-je, un jour, je vous montrerai de quoi je suis capable... Mais j'avais du mal à me mettre en colère: certes, j'avais du ressentiment, mais d'un autre côté, je me disais qu'ils devaient avoir quelques raisons d'agir ainsi ? Bref, tout cela ne tendit pas à me rendre moins introverti que je ne l'étais...
Depuis très longtemps, j'étais déjà un grand lecteur: je lisais tous les bouquins qui me passaient à portée de la main et pas seulement les bandes dessinées. D'ailleurs c'est bien simple : mon père avait un meuble bibliothèque assez conséquent. Je commençais méthodiquement par lire les livres qui m'étaient accessibles, c'est-à-dire ceux des rayons du bas, puis au fil du temps, je montais, n'hésitant pas à prendre une chaise pour les rayons plus hauts, que je n'atteignais pas encore. C'est ainsi que lorsque vers 16 ou 17 ans, ayant fait part à mon père de mes premiers émois amoureux, il voulut me donner à lire les bouquins "Histoire d'amour de l'histoire de France" de Guy Breton, je lui répondit que heu... ben...je les avais déjà lus ! Il se rabattit donc sur Cyrano de Bergerac...Je le lus avec avidité puis j'allais voir mon père que moi, je voulais une histoire qui se finisse bien, or là, ce n'était pas le cas...
Alors bien sûr, je n'ai pas lu tous les livres: j'en commençais parfois certains que je ne finissais jamais, tels par exemple "crimes et châtiments" de Dostoïevski, ou bien " le pavillon des cancéreux" de Soljenitsyne, un peu glauque comme atmosphère, d'après le souvenir que j'en ai. À ce jour, d'ailleurs, je ne les ai toujours pas lus en entier. Bref, la lecture me permettait en quelque sorte de m'émanciper tout seul, et aussi d'apprendre par moi-même.
Par exemple, j'ai lu par le menu les deux grands manuels d'infirmière, qui venaient de ma tante qui était infirmière pendant la guerre, ou bien les trois fascicules sur la pratique de la montagne en hiver, ou encore la méthode pour retrouver le nom des fleurs de Gaston Bonnier, et les petits fascicules sur les roches et minéraux, ou sur les étoiles, que mon père emmenait toujours en vacances avec lui, sans parler de mes préférés : les deux énormes volumes du dictionnaire Larousse ! Tout m'intéressait. D'ailleurs, très souvent on m'offrait des livres en cadeau sachant que j'aimais la lecture. Très vite, on m'offrit un abonnement à la bibliothèque municipale, et je pus continuer à lire avec une bonne cadence, mais cette fois-ci uniquement des livres dits "pour mon âge". Ça se lisait très facilement et j'aimais bien ces petites aventures adolescentes. Je me rappelle notamment d'une collection que j'appréciai plus particulièrement : "safari signe de piste". Puis ma mère, qui avait d'étroites relations avec le milieu clérical - elle devait même jusqu'à aller, un jour, faire le catéchisme aux enfants - m'abonna a un petit magazine : formule 1, le journal des J2. Cela me plaîsait beaucoup car il y avait de tout: des bandes dessinées à épisode (que je n'ai jamais retrouvé ailleurs, malheureusement), des histoires écrites, des histoires drôles, de petits bricolages, des reportages sur des sujet divers, des documents sur la science, la nature, l'écologie, le sport, la santé et j'en passe. Bref, tout ce qu'il fallait pour alimenter un esprit adolescent. Bien sûr, c'était en plus de l'abonnement à la bibliothèque... Au collège, je découvris, en plus, la bibliothèque scolaire. Bibliothèque où un jour, la documentaliste refusa que je prenne un livre, car "c'était trop costaud pour moi" ! Je n'ai pas osé lui dire que j'en avais déjà lu plus de la moitié sur une table à l'écart, au lieu d'aller en étude et que cette lecture m'ayant beaucoup intéressé, je voulais le finir, et même le relire, chez moi... Il y était question d'atomes, d'étoiles, de trous noir, de formation du monde, et de questionnement sur l'existence éventuelle d'un Dieu. Dans ma logique, je ne comprenais pas pourquoi ce livre était laissé à portée de main des élèves, si ces derniers ne pouvaient pas le lire ? Elle ne voulut pas m'expliquer pourquoi. Quand je revins plus tard et le cherchai pour continuer ma lecture, je ne le trouvai plus...Je ne me rappelle malheureusement pas le titre...