Le texte ci-dessous, que j'ai écrit en été 2008, fait partie d'un passé douloureux...Feu mon épouse était encore de ce monde...
On m'a dit plus tard que c'était cette capacité que j'ai, à la rêverie et à son expression, même dans les pires moments, qui m'a permis de finalement surmonter ma détresse, tout en restant en vie moi-même: il y a toujours une échappatoire, un monde où personne ne peut vous atteindre, où tout est beau et serein; ne cherchez pas trop loin: il est en vous, tout simplement...


Le soir est tombé, mais il fait encore chaud. Je marche d'un bon pas.
A 100 mètres, j'entends encore la voix de ma femme qui crie ! Elle a la voix qui porte ! Je me dis que lorsqu'elle crie au jardin, tout le village doit l'entendre: en effet notre jardin le domine. Bah ! Je m'en fiche, na ! C'est sa réputation à elle, et pas la mienne ! Ce genre de considération ne me touche plus depuis longtemps.
De loin en loin, j'entends à travers les volets fermés, qui le son de la télé, qui le bourdonnement d'une conversation assourdie. Je souris malgré moi quand, en passant devant chez monsieur G, j'entends une chasse d'eau, suivie d'un raclement de gorge: c'est assez drôle de surprendre chez les gens ces petits moments de la vie.
Au bout de la rue, le croisement: je tourne à droite et je m'engage dans la rue où se sont montées toutes ces nouvelles maisons. C'est assez bizarre, ce petit lotissement en plein village, où maisons neuves côtoient de vieilles fermettes.
"Bonsoir !" Petit signe de la main amical. Les gens d'ici sont toujours très polis et amicaux: même si on ne se connait pas, pas un ne manque à vous saluer, tout comme lorsque vous leur laissez la priorité en voiture, dans les rues étroites, ils ne manquent pas de faire un merci par geste.
Ici ça bouge un peu: les volets ne se ferment que maintenant, les gens restent dehors plus longtemps.
Je traverse à présent le coin pique-nique et sa forêt de chênes. Des jeunes sont là avec leurs voitures "tunées", musique à fond (pardon: à donf !). Ils discutent des mérites de leurs engins, une bière à la main. Comme je passe, ils me regardent avec aménité et, en chœur, me souhaitent le bonsoir, avec une signe de la tête. Cela aussi m'étonne toujours: en ville quand vous passez près des jeunes, leur regard n'est pas du tout amical et ils ne vous saluent certainement pas ! Ici, oui.
J'arrive à présent près du canal et sur le pont, je trouve monsieur C, que je connais bien. Il regarde faire un pêcheur au fouet, accompagné de son voisin.
Il me revient, à cet instant, la blague du gars qui passe l'après midi à regarder un pêcheur, et qui dit ensuite qu'il ne pêche pas parce qu'il n'aurait pas la patience !
Je les salue, m'arrête un instant pour échanger quelques banalités, et regarder, moi aussi, le pêcheur qui cherche à leurrer le poisson avec sa fausse mouche, puis je continue ma route. Je croise le fils de monsieur C, qui essaie d'impressionner sa petite copine en faisant des figures avec son skateboard. Quel garnement celui-là ! Je me rappelle encore de ses frasques à vélo avec mon gamin. Il me salue avec un grand sourire, je lui réponds avec plaisir, parce que c'est tout de même un gentil gamin
Je monte à présent la côte qui mène à l'église. Ici est le rendez-vous des chats: il en sort de tous les côtés, de toutes tailles, de toutes couleurs, mais ne comptez surtout pas les approcher, ce sont des sauvages !
Ouf ! Enfin je suis en haut ! C'est qu'elle est raide cette côte ! Même mon gamin a du mal à la grimper à vélo, et pourtant c'est un costaud, c'est dire: moi à vélo, je n'essaie même pas !
Le banc de bois sur l'herbe, près du muret, me tend les bras. Je m'y assois un moment et je contemple...quoi ? Je ne sais pas trop. Les grillons font entendre leur musique. Là bas au loin, il doit y avoir de l'orage, car le ciel s'illumine de temps en temps. Je réalise que les lampadaires sont assez nombreux dans ce village: je peux distinguer en bas monsieur C, toujours à son poste sur le pont. Mon regard erre sur les maisons où je peux parfois apercevoir une fenêtre éclairée.
Les gens vivent ici, sans bruit... Que font-ils maintenant ?
Cela me ramène des années en arrière, quand du cinquième étage de l'immeuble de mes parents, je contemplais la ville de la fenêtre de ma chambre, et où, déjà, je prenais pleinement conscience de toutes ces vies autour de nous qui se passent, sans que l'on s'en rende vraiment compte. Ici, c'est pareil, mais en plus petit.
Un chien aboie, au loin. Qu'a-t-il vu ? Qu'a-t-il entendu ? Un renard ? Une musaraigne ? Un fantôme ?
Un autre lui répond soudain, puis un autre, un autre encore. Cela me rappelle le dessin animé des 101 dalmatiens avec tous les chiens qui s'envoient des messages ! On en plaisante, mais c'est peut-être vrai: qu'en sait-on, après tout ?
Je reviens aux maisons, et là je me mets à penser à la mienne. Elle doit être silencieuse à présent...je l'espère du moins ! J'imagine la vie des gens, la vie de famille, les rires, les câlins... J'ai envie de pleurer... Allez je me secoue: la pensée est un acte volontaire ! Je ne dois pas laisser mes pensées m'entrainer où elles veulent: je dois penser à autre chose.
Je suis bien bête, j'aurais dû amener un carnet et un crayon: je me sens l'âme poète, ce soir... Il est vrai que j'étais bien pressé de sortir
Bon allez, je rentre.