J'arrive non loin d'un joli corps de ferme, mais en me rapprochant, je le trouve décevant: peinture écaillée, cour sale et empoussiérée...
Et voici ce qui a été autrefois un jardinet avec quelques arbres fruitiers, quelques clapiers ruinés, portes ouvertes. J'essaie d'imaginer ce qu'il était à l'époque où tout cela servait encore. ..
Dans la cour, quatre voitures; non pas de rutilants bolides: ici, on sait le prix des choses et on les use jusqu'à la corde.
On voit qu'ici la vie a été bonne et qu'à présent elle est plus dure. On sent que certains ne se battent plus et laissent couler les jours en essayant de survivre. Les maisons sont à l'image du moral de leur propriétaire.
J'avance sur la route...
À gauche une maison récente : une famille déjeune gaiement sur la terrasse... J'avance encore, vers cet endroit que je préfère: un petit canal, une rangée de peupliers et des vaches dans la prairie derrière. Pourquoi aimé-je tant cet endroit ? Je ne sais pas trop: je crois bien qu'il m'évoque quelque chose d'autrefois qui lui ressemble... ce doit être un bon souvenir, vu l'effet que cela me fait mais il doit être bien lointain car je n'en perçois plus que l'effet... Qu'importe, après tout ?
Puis ce sont encore d'autres bâtiments, les volets disjoints, le crépi qui se décolle, la rouille qui s'installe... et les pigeons aussi. Seul indice de la vie : un tas de bois soigneusement rangé le long du mur, et protégé d'une bâche noire...
Là aussi, la vie autrefois devait être bonne, mais l'époque de l'opulence est partie.
La dernière fois que j'y suis allé c'était il y a plusieurs années: j'avais monté quelques marches  puis la mère m'avait reçu dans sa cuisine, pièce sombre éclairée des sempiternels tubes au néon bleuâtres...
Il ne reste plus aujourd'hui que le silence ponctué par les roucoulements des pigeons qui ont pris possession des combles
Le petit canal bouillonne bruyamment le long de la route... que d'histoires aurait-il à nous conter ? Des hommes, des femmes vivant, riant, pleurant, espérant. Des bambins qui naissent et qui grandissent. Le travail est dur mais c'est tout de même le bonheur. Et puis les années passent, les dos se courbent, les cheveux blanchissent, les douleurs arrivent, la jeunesse n'est plus qu'un souvenir, même si la tête, elle, n'a pas vieilli. Puis d'autres vies prennent leur place...
J'ai avancé sur la route, abandonnant cette ferme en déroute...