Aujourd'hui c'était la fête au village. Cette fête est l'occasion pour tous les villageois de se retrouver pour un grand repas bien animé, avec musique, chants et danses. Cela fait plusieurs années que j'y vais. J'y ai déjà participé quelquefois, accompagné ou non, espérant arriver à me mêler à tous ces gens et m'amuser autant qu'eux. À dire vrai, tout dépend aussi à côté de qui l'on se trouve pendant le repas: il y a des gens avec qui le courant passe bien, et qui aiment rire et d'autres avec qui ça passe moins bien. Je me rappelle y être venu une année où j'étais seul, et où j'avais vu avec stupéfaction et grand plaisir nombre de gars que je connaissais, venir me rejoindre et m'entourer  à la fin du repas voyant que je me morfondais un peu tout seul dans mon coin: nous avons parlé, chanté et ri ensemble et je dois dire que j'avais été un peu bouleversé de cette gentillesse qui m'était témoignée, si naturellement, alors que je n'avais rien dit, ni manifesté. Mais autrement, j'ai toujours eu un peu de mal à m'intégrer vraiment à ces manifestations. Je ne suis pas vraiment un fêtard. Sans doute me posais-je trop de questions ? Mais il est vrai aussi que je n'ai jamais eu l'habitude de faire la fête ainsi qu'ils le font. Il se connaissent depuis des années qu'ils habitent au village, où leurs enfants grandissent. Le comité des fêtes est composé de tous ces jeunes gens que l'on a connu petits et qu'on voit soudain en train de faire la cuisine et servir: ils sont alors devenus de grands gaillards et de belles filles, c'est là que l'on mesure le temps qui passe, lorsqu'on voit en face des visages qui, eux, vieillissent. Et toutes ces générations se succèdent et c'est très bien ainsi.
Avec mes parents, nous vivions en famille et nous ne sortions guère de ce cercle. Quand à ma propre famille que j'ai voulu créer, elle n'a jamais vraiment existé, et pourtant ce n'est pas faute de l'avoir voulue. Il était dit que je n'allais pas emprunter le chemin le plus évident: ma femme m'a quitté de la plus horrible des manières et je n'ai plus aucune nouvelle du gamin que j'ai élevé. Je suis le dernier de ma lignée, mes frères et sœurs n'ont pas trouvé à se marier: il n'y aura plus personne après moi, c'est ainsi.
Le problème de ces fêtes c'est d'abord le bruit: sous le grand chapiteau où le repas a lieu, chacun parle plus fort que le voisin, qui parle à son tour plus fort puisqu'il n'entend pas grand-chose et puis tout le monde finit par crier si bien que les personnes bien entendantes arrivent peut-être à se comprendre mais les autres, dont je fais partie, se contentent de sourire en hochant la tête de temps en temps, sans rien comprendre à ce qui se dit autour d'eux. Après, il y a aussi les chansons, dont on aimerait bien connaître les paroles, pour les reprendre en chœur comme tout le monde autour: à une époque, sur une site internet, j'avais fait une liste de ces chants festifs, en mettant des vidéos karaoké car je me disais que peut-être d'autres gens étaient dans le même cas que moi et que ça leur rendait service, mais là je dois dire que j'ai pris du retard: je suis dépassé, et je ne me rappelle même plus des paroles de certaines vieilles chansons. Alors je bois un verre de vin puis un autre puis un autre encore, la tête me tourne, j'essaie de me mettre dans l'ambiance, je braille autant que les autres, je tape sur la table en rythme, je fais tourner ma serviette au-dessus de ma tête et puis tout retombe, les gens parlent autour de moi, je ne comprends plus rien, je souris, manière d'être aimable, état second, et pendant deux secondes, je me demande ce que je fais là...
Quand vient le moment de danser, je me sens les jambes lourdes, et suis mal assuré; ma compagne ne vaut guère mieux, et ne répond pas à mon invitation, ouf: si elle l'avait voulu je l'aurais faite danser mais là, je n'insiste pas. Nous décidons de rentrer car de toute façon, elle a affaire chez elle. En partant, j 'aperçois quelques visages connus de gens avec qui j'aurais eu plaisir à discuter, et puis non: je fuis, nous fuyons. Nous ne partons pas directement et allons faire un petit tour à pied, histoire de nous remettre les idées en place et également de calmer le bourdonnement de nos oreilles: le niveau sonore était sacrément élevé et pour moi qui ai déjà des acouphènes, c'était trop. Nous nous avouons qu'autant l'un que l'autre, nous avons toujours eu du mal à nous intégrer à ces fêtes, pourtant si sympathiques...
Ma compagne est à présent partie et soudain l'orage éclate. J'avais songé revenir à la fête après son départ mais à présent l'esprit n'y est plus, et puis si même la pluie s'en mêle...