Dimanche dernier, ayant appris que l'équipe de rugby locale jouait à domicile, j'ai décidé, pour une fois, d'aller voir le match.
Cela faisait une éternité que je n'étais pas allé sur un stade: une vingtaine d'années, je crois bien, depuis l'époque où mon beauf jouait. Depuis, de l'eau a passé sous les ponts: mon beauf ne joue plus et de toutes façons j'ai coupé les ponts avec ma belle famille, enfin, c'est plutôt eux, ou les deux, mais ceci est une autre histoire.
Je n'ai jamais été un fana au point d'aller voir régulièrement les matchs, même si gamin j'avais la photo du Stadoceste sur le mur de ma chambre, ni même au point de les suivre tous à la télé, mais là, je me suis dit: pourquoi pas ? En plus, en tant que bénévole d'association, j'ai des bons de réduction pour l'entrée, qu'il faut que j'utilise et qui plus est encore le temps n'était pas exceptionnel, je n'avais rien d'urgent à faire, et je me suis dit que ce serait une bonne manière de m'occuper en faisant quelque chose d'inhabituel pour moi: je n'aime pas trop la routine, même si elle peut avoir ses bons côtés rassurants.

J'arrive avec vingt minutes d'avance, en me disant que ça suffit bien, mais au vu du nombre de véhicules garés dans tous les sens, j'en viens à en douter. Je ne tourne pas pendant une heure et je vais me garer directement assez loin, là où il y a beaucoup de places. Enfin non, pas si loin: 2 minutes à pied, à peine. En arrivant devant le parking du stade, je vois quatre grands gaillards à l'allure sportive s'extirper d'une petite voiture (mais comment ont-ils réussi à tous contenir dedans ?!!!) qui vient de se garer fort mal. C'est curieux cette manie des gens de vouloir se garer à tout prix au plus proche, même sans avoir spécialement de difficultés à marcher. Moi, ça ne me gêne guère de faire fonctionner mes jambes, bien au contraire.

Je traverse le parking et, m'approchant du stade, bien que le match n'ait pas encore commencé, j'entends déjà tambours, trompettes, sirènes et chants: houlà ! Ça promet !
Il n'y a pas trop de queue au guichet et du coup, après avoir acheté mon billet, j'ai le temps de serrer quelques mains pour dire bonjour. Je me fais la réflexion que moi qui me demande souvent ce que font les gens le weekend, et ben voilà par exemple ce qu'ils font: ils vont voir des matchs ! Une occupation comme une autre.

J'entre dans le stade. Quelle tribune vais-je choisir ? L'une bourrée à craquer avec une ambiance du diable, et l'autre moins remplie, qui semble très calme: peut-être les jeunes d'un côté et les vieux de l'autre ? Je n'hésite pas longtemps: d'abord je ne suis pas vieux (quoi que...), et ensuite, je suis aussi venu pour ne pas rester tout seul dans mon coin, je choisis donc la tribune pleine, me disant que j'ai plus de chance d'y rencontrer des gens que je connais, et ça ce n'est pas désagréable; je deviens très sociable, avec l'âge, décidément.

Je m'approche....Oups ! C'est encore plus plein que je ne l'aurais pensé, et je me dis que j'ai peu de chance de trouver une place assise et je décide de rester debout en bas. L'ambiance bat son plein: il y a une banda, des fumigènes, des chants, des cris, un brouhaha terrible. Ça me fait rigoler, mais pour parler franchement, je préfère le calme et le chant des oiseaux, ou à la rigueur, les fiestas en comité restreint et ce n'est pas dû qu'à mes acouphènes: question d'habitude sans doute, mais aussi de caractère.
Je vois pas mal de têtes qui ne me sont pas inconnues...petits signes de tête, serrage de mains, tapes sur l'épaule, voire grands sourires, un mot gentil: tous les échelons de la convivialité; tout ce contact ne me déplait pas, bien au contraire: comme je le disais plus haut, je suis aussi venu pour trouver un peu de cette chaleur humaine. Il y a des gens de tous genres: des jeunes, des moins jeunes, des gars, des filles, des silencieux, des bavards, des braillards, des qui semblent chercher quelqu'un, des maquillés en bleu et blanc, couleur de l'équipe locale, des mains dans les poches, des verres à la main, des gesticulants, des immobiles, des passionnés, des blasés, des rigolards, des filiformes, des balèzes...Moi qui me plaint parfois de mon petit embonpoint, je me sens mince au milieu de certains, taillés comme des piliers...des piliers de bar, me demandais-je ? Mais quelle mauvaise langue je suis ! Je ris intérieurement.
Mon voisin me demande si untel joue et essaie de discuter, mais, au milieu du brouhaha, je ne comprends rien à ce qu'il me dit, et puis heu...ma science du rugby actuel est quelque peu limitée: si j'ai été bercé par les Barbarians, All Blacks et autres (1973: the Try !) et si j'ai joué de temps en temps à l'école, ma carrière fut courte ! Je jouais généralement ailier car je courais vite, et en fait, si j'ai eu un certain succès (ou plutôt un succès incertain), ce fut aussi parce que je n'avais aucune envie de me faire choper ! Il parait que je savais bien esquiver et me faufiler (et ce, toujours pour la même raison), mais je n'étais pas si doué qu'on voulait me le faire croire, la preuve en est qu'un jour, je fus carrément "séché" sur place ! Aujourd'hui j'en rigole mais ce jour-là, je signifiai au prof que c'était terminé pour moi; il faut dire que le "séchage" eut lieu alors que je venais de passer le ballon, c'était donc de la violence gratuite et ça, ce n'est pas du tout mon truc: à une époque, d'ailleurs, je m'étais mis au ju-jitsu, justement pour essayer de développer mes instincts combatifs, mais j'avais arrêté après une côte fêlée: non décidément, la violence physique, c'est pas mon truc ! Ce n'est pas une question de peur de la douleur: j'ai pratiqué par la suite, sans réticence, des sports à l'issue parfois beaucoup plus douloureuse, mais quitte à me battre, je préfère le faire contre moi-même ou avec les mots: j'y ai plus de succès garanti.
Mais je m'égare, revenons à nos moutons.

Mon voisin bavard, donc, en désespoir de cause, n'insiste plus et finit par se tourner vers son voisin de droite.
J'ai l'impression que le bruit va en augmentant, ça me tourne un peu la tête et je songe finalement à aller dans la tribune en face qui a plein de places vides et qui semble beaucoup plus calme, lorsque les joueurs entrent sur le terrain en courant sous les ovations du public; trop tard ! Je verrais de changer de place à la mi-temps, car là, je ne veux pas en perdre une miette.

Ça commence assez fort...j'ai un peu de mal à me concentrer sur le jeu, j'ai la tête ailleurs: le bruit, tout ces gens....Et du coup je ne vois pas l'origine de la pénalité qui permet aux visiteurs d'ouvrir la marque ! Quelques minutes plus tard, une belle avancée de l'équipe locale capte mon intérêt: ça c'est le rugby que je me rappelle !
Pénalité...Touche...Mêlée...J'entends un bruit de tonnerre...et je comprends que ce sont les supporters, au bord du terrain, qui tapent à tour de bras des poings sur les panneaux publicitaires: c'est l'ovation pour l'égalisation !
Ça s'annonce être un beau match: ils en veulent les gars ! Je me laisse prendre par le jeu: un va et vient de belles actions, quelques maladresses de part et d'autre, quelques fautes aussi, de belles percées, de belles occasions, le match est serré. Les locaux mènent 6 à 3 à la mi-temps.
Je vais m'offrir un petit demi: ce n'est pas que j'adore la bière, mais ça me parait de circonstance et puis comme disait un copain, ça désinhibe ! Le verre à la main, je décide de faire le tour vers la gauche pour aller à la tribune d'en face. Je m'arrête un instant à la hauteur de la ligne de but qui sera celle des visiteurs lors de la deuxième mi-temps, car j'y rencontre la femme d'un pote, et je discute un peu. Finalement la rencontre reprend que je suis toujours là et je décide d'y rester et de m'assoir: l'emplacement ne me parait pas si mauvais.
Et ça repart bientôt sur un magnifique essai des locaux: ,d'où j'étais j'ai parfaitement vu le gars se jeter à terre pour aplatir: il y avait une belle photo à faire...Transformation sans problème. 13 à 3 ! Il semble que ça se présente bien, mais ayayaye: les visiteurs se reprennent, malgré une pénalité pour les locaux..

Ma voisine me fait remarquer ce spectateur, à droite, qui est tellement dans le jeu qu'il se penche et se tord, pour finir dans un coup de rein comme pour aider le ballon ! Je lui fais quant à moi remarquer ces grands gaillards à l'embonpoint prononcé qui gueulent après les joueurs alors qu'il vaudrait mieux pour eux retrouver le chemin des salles de sport: ça ne leur ferait, certes, pas de mal ! Je me demande à combien de bières ils sont (sourire)....En tout cas, tudieu, ils ont de la voix ! Par contre, je ne suis pas sûr qu'ils soient ou furent tous d'excellents joueurs ou entraineurs, vu ce qu'ils disent. Comme on dit: les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Bah si ça leur fait plaisir.

Bon mais voyons, ne nous laissons pas distraire: qu'est-ce qui se passe sur le terrain ? Le problème est que, de l'endroit où je suis, je ne vois plus très bien ce qui se passe sur la ligne des locaux: c'est trop loin, et nous ne sommes pas assez en hauteur, or il semble que...aaargh, oui: essai ! Oups, ça se corse: après une pénalité et un essai transformé, les visiteurs mènent ! les supporters se déchainent pour encourager leur équipe.
Enfin un nouvel essai des locaux ramène un score vainqueur. Le match se finit sur plusieurs tentatives des locaux tout près de la ligne des visiteurs: ils en veulent: ils foncent, défoncent, se font plaquer, repartent, paf ! à nouveau arrêtés, ça repart encore mais on sent que la fatigue commence à se faire sentir.
Enfin, alors que les visiteurs allaient repartir à l'assaut de la ligne de but adverse, l'arbitre siffle la fin du match ! Youpi ! C'est l'euphorie dans les tribunes ! Ouf ! Heureusement que je n'y suis plus, je serais devenu sourd !

Je me lève et m'étire. Ma voisine va rejoindre son homme. Je décide, pour ma part, de continuer mon tour vers la deuxième tribune avant de sortir, car de l'autre côté, quand tout ce monde va descendre, ça va se bousculer, et...non: très peu pour moi. Ça tombe bien, il y a aussi une buvette là-bas et je vais pouvoir y laisser mon verre vide: l'idée ne me vient même pas de le laisser par là, comme je vois pas mal de gens le faire.
Arrivé de l'autre côté, finalement, bien m'en a pris: je tombe sur quelques connaissances sympas du village: sourires, serrages de mains, on rigole, on discute et on s'achemine doucement vers la sortie...Enfin non, pas la sortie: très exactement la buvette près de la sortie ! Beaucoup de gens se retrouvent là. Une amie d'un certain âge, mais à l'énergie débordante, supporter acharnée ainsi que le montre le bleu et blanc sur ses joues, vient me saluer avec enthousiasme. Ça fait plaisir cette bonne humeur, et pourtant je sais qu'elle n'a pas de quoi rigoler tous les jours chez elle.
Dans le petit cercle des copains, ça discute sec du match, des joueurs, des derniers matchs et des prochains; on me prend à partie:"hein, que j'ai raison ?" heu...ouioui, t'as raison ! Je ris. Le problème est que dans la foule, j'ai toujours quelques problèmes pour suivre une conversation.
Un grand gaillard que je connais bien vient me dire bonjour tout en s'étonnant de me voir là: "Tiens ? Tu viens voir les matchs de rugby, toi ?" Je rigole: je ne dois décidément pas avoir l'allure de l'amateur type. M'en fiche: je suis comme je suis.
En l'occurrence il a raison: je ne suis pas un fana de rugby, mais je sais par ailleurs que je peux tromper mon monde: je parais être un mec calme, posé et rangé, et peu de gens m'imaginent faire de glorieuses folies, et pourtant j'ai un passé sportif un peu tumultueux, qui en étonnerait plus d'un. Chut: ce n'est pas le sujet, aujourd'hui: je vous raconterai ça une autre fois..ou pas !

J'en suis là de mes réflexions, lorsque j'aperçois de loin une personne dont la présence, en général, me ravit. Je songe à aller la saluer et engager la conversation, mais elle a l'air tellement bien à discuter avec son petit monde autour, que je me vois mal l'interrompre en jouant l'inopportun, et surtout...pour lui raconter quoi ?!! Je ne suis pas un grand parleur ni un beau parleur; en fait avec elle, je ne trouve pas de sujet de discussion, ça n'accroche pas, c'est aussi simple que cela. Je crois qu'elle ne m'a pas vu, alors je n'insiste pas et effectue un repli élastique sur des positions préparées à l'avance. Non, je rigole: je n'ai rien préparé du tout !. Pour dire la vérité, je me sens de moins en moins à l'aise ici: j'ai l'impression de ne pas être à ma place: une pièce rapportée, quoi.
Tout d'un coup, un moment d'inattention, une absence et mes potes se dispersent ! Zut, ils sont où ? Je ne le les ai pas vu partir ! Ah oui, là bas. Vais-je les rejoindre ? Bah, de toutes façons on n'était pas vraiment ensemble: juste une rencontre fortuite, et ils ont leurs amis à eux, et leurs habitudes. J'hésite à rejoindre un autre groupe ? Mon regard balaye les alentours...heu non, je me vois mal m'immiscer ici ou là.
Je reste seul au milieu de la foule, c'est à dire encore plus seul qui si j'étais tout seul. Vous voyez ce que je veux dire ? Je trouve que quand on est seul en rase campagne, c'est moins terrible que se sentir seul au milieu de la foule quand on ne connait personne ou que les gens vous ignorent, vous ne trouvez pas ? Non ? Ben moi si.
Aussi, quand j'aperçois des élus venir faire leur cour en saluant les uns et les autres, chose dont j'ai une sainte horreur, même si je connais bien la plupart et qu'eux aussi me connaissent (et peut-être même à cause de cela), je m'éclipse discrètement. Comme de juste, personne ne remarque mon départ.
Une fois le portail passé, le brouhaha diminue et je me retrouve face à un océan de voitures. Ça et là, je vois quelques têtes se déplacer dans le même sens que moi, signes que d'autres aussi abandonnent le terrain.
Je marche lentement: je ne suis pas pressé, personne ne m'attend et il ne pleut pas. Ouf ! Enfin un peu de calme, un autre monde...La marche me fait du bien: petit à petit, je me reconnecte à MA réalité. Je pense à mon jardin avec ses herbes folles qu'il faut que j'arrache, ma terre que je dois travailler, mes fleurs à planter: des activités qui me défouleront un peu. J'arrive à ma voiture, je monte, je ferme la portière: ça y est, je suis de retour dans ma bulle...

C'était quand même une bonne journée.